La fratrie d'enfant atteint de mucoviscidose

" les oubliés de la maladie "
CFTDE 26 janvier 2002
Dr. P. Canouï
Pédopsychiatre Hôpital Necker-Enfants-Malades
Docteur en éthique biomédicale Univ. Paris V

Etre frère ou sœur d'un enfant atteint de mucoviscidose n'est pas toujours facile. En osant aborder cette question, nous avons voulu lever le voile sur un domaine jusqu'alors peu exploré afin d'évaluer et de prendre conscience des risques humains et psychiques de la fratrie de jeune porteur de la maladie. Il y a actuellement peu de travaux sur le sujet ; cependant, à travers la littérature et notre expérience personnelle, nous allons tenter de repérer les facteurs qui peuvent augmenter ou diminuer les risques psychiques et développementaux pour le fratrie mais aussi d'apporter des réponses possibles.

Les frères et sœurs d'enfants ou d'adolescents atteints de mucoviscidose sont pris dans un jeu complexe de contraintes matérielles et psychologiques. Les problématiques que nous allons développer sont très proches de tous les enfants dont leur frère ou soeur est porteur d'une maladie chronique. Cependant, la mucoviscidose va donner un aspect particulier. En introduction, nous dirons que la difficulté pour ces frères et sœurs, se résume dans le fait de " trouver leur place " au sein de la famille mais aussi à l'école, dans le cadre des relations sociales et plus tard dans la société. C'est pourquoi nous allons nous situer résolument dans une perspective de prévention psychologique.

En effet, frères et soeurs doivent faire "comme si tout était normal" dans la famille et leur vie quotidienne alors qu'ils vivent une situation particulière et unique.

1° Quelles sont les caractéristiques actuelles et dans quel cadre psycho-pathologique allons-nous travailler ?

Un certain nombre de réflexions préalables sont nécessaires avant d'aborder le sujet.

Tout change. La maladie change, les malades changent, les consciences évoluent. Cette réflexion primordiale nous permet de poser la nécessité de savoir s'adapter à l'évolution des consciences et de la maladie.

Un des premiers changements dans la mucoviscidose est heureusement l'augmentation considérable et encore insuffisante de la durée de vie des jeunes atteints de mucoviscidose. Si bien que nous nous situerons d'emblée dans une dimension transgénérationnelle.

Les frères et soeurs des enfants atteints de mucoviscidose deviennent frères et soeurs d'adolescents mais aussi de jeunes adultes. Ces jeunes adultes atteints de mucoviscidose forment des couples, peuvent avoir des enfants et les frères et soeurs ont donc des beaux frères, des belles soeurs, des neveux et des nièces. Les parents deviennent grands parents et à toutes les générations actuellement on voit la place des grands parents dans la prise en charge de la maladie et l'accompagnement des familles. Tout cela a une influence fondamentale chez l'enfant.

Actuellement, la maladie se passe la grande partie du temps à domicile. Si bien que la maladie va envahir non seulement l'espace géographique ( la chambre, le couloir, d'autres pièces du domicile) et mais aussi et surtout l'espace psychique de la fratrie. Le frère ou la soeur d'un enfant atteint de mucoviscidose est présent(e) à toutes les étapes. Souvent il assiste aux soins ; il vit les angoisses ; il accompagne lors des consultations ; surtout , il attend…souvent il assiste aux réunions des assemblées générales aux manifestations des associations.

Le cadre psycho-pathologique dans lequel nous allons travailler est le suivant : Encore actuellement, beaucoup de parents et d'enfants ont des réticences à demander de l'aide auprès de psychologues ou pédopsychiatres car ils ont encore le sentiment que ce corps professionnel est réservé aux troubles psychologiques graves.

En fait, notre expérience nous a montré que les parents et enfants sont des individus normaux ; ce sont la maladie et les traitements qui sont responsables de stress de haut, voire de très haut niveau, responsables de troubles psycho-pathologiques variés. Ces troubles peuvent faire le lit de troubles anxieux ou de troubles dépressifs variés.

Des études et des travaux : Il y a quelques travaux concernant la fratrie des enfants atteints de mucoviscidose. On trouve beaucoup de travaux nord-américains dans le cadre de maladies chroniques : cancer, asthme, diabète, Crohn, colite ulcéreuse, pathologie rénale, arthrite juvénile, spina bifida, infirmité motrice cérébrale et mucoviscidose. On peut regretter que les travaux français soient insuffisants et lancer la proposition de démarrer plus d'études concernant la fratrie.

Les résultats sont les suivants : En fait, il existe un risque potentiel important chez les frères et soeurs atteints de maladie chronique et de mucoviscidose en particulier. Ces risques concernent essentiellement des risques psychologiques et dans toutes les études bien faites, on constate que ces risques ne sont pas négligeables.

Quels sont-ils ?

Dans la fratrie d'enfant atteint de mucoviscidose et de maladies chroniques, les symptômes les plus souvent retrouvés sont :
- Estime de soi diminuée,
- Timidité ou inhibition,
- Augmentation des plaintes somatiques plus fréquentes d'ailleurs chez les enfants atteints de mucoviscidose que chez les frères et soeurs atteints de diabète.
- Des troubles du comportement variés,
- Des relations avec les camarades difficiles,
- Une augmentation de la petite délinquance,
- Beaucoup de frères et soeurs manifestent un sentiment d'isolement et de solitude, - Un sentiment de vulnérabilité, voire de colère,
- Des troubles anxieux et dépressifs sont retrouvés de façon plus fréquente que dans la population générale,
- Enfin, beaucoup de frères et sœurs signalent une inquiétude plus ou moins formulée envers la maladie. Les frères et sœurs ont souvent des difficultés scolaires et des résultats moins bons que l'on pourrait l'espérer.

Cependant, dans certaines études, le fait de la maladie permet aussi d'apporter des éléments positifs au sein de la fratrie.

Il s'agit :

- d' une augmentation de la cohésion familiale,
- d' une augmentation du développement de la maturité chez les frères et sœurs qui est plus harmonieux,
- d'une croissance du sentiment d'appartenance à une fratrie.

Y-a-t-il des âges plus spécifiques ?

Il semble qu'entre 6 et 11 ans, les enfants seraient plus vulnérables aux ruptures familiales et aux stress. Les garçons, jeunes, présenteraient plus de troubles du comportement agressif. Enfin, les sœurs, plus âgées, présenteraient plus des troubles anxieux et dépressifs.

Quand on écoute les frères et soeurs, que disent-ils ?

Ils disent qu'ils ont des doutes par rapport à eux mêmes, qu'ils ont quelques fois des angoisses de mort, des sentiments d'abandon, qu'ils ont du mal à parler d'eux mêmes comme si la maladie du frère ou de la sœur leur interdisait de se plaindre de leurs propres soucis, jugés trop souvent par l'environnement (parents et grands parents) comme bien moins importants que la maladie. Après que, quand ils étaient petits, ils ont pu envier l'enfant malade, ils disent souvent qu'ils ont un sentiment de culpabilité. S'ils ne formulent jamais le sentiment d'être moins aimés par les parents, ils constatent qu'ils sont moins considérés. Quand la maladie est trop présente, leurs "petits soucis" passent à côté alors que ces "petits soucis" sont en fait de réels problèmes pour eux mêmes.

Enfin, à l'écoute des familles, deux idées émergent :

- Dans notre expérience, c'est souvent le frère ou la sœur, adolescent atteint de mucoviscidose qui va souffrir et nous signaler son petit frère ou sa petite sœur qui ne va pas bien psychiquement ou qui souffre de la situation.
- Enfin, les parents demandent pour l'enfant car ils n'osent souvent pas demander pour eux-même, comme s'ils ne voulaient pas parler d'eux. Or, il est important de diffuser et l'association est probablement là pour cela aussi, et de dire que "plus les parents sont en équilibre intérieur, plus ils pourront donner et aider leur enfant".

Quels sont les facteurs qui interviennent dans l'équilibre psychologique des frères et soeurs ?

Comme on pourrait s'y attendre, l'absence de dépression parentale est un facteur positif ; de même que l'équilibre du couple, l'existence d'une bonne qualité de soutien familial mais aussi amical. Enfin, une bonne communication avec les frères et sœurs. Comme facteur négatif, la dépression maternelle est un facteur d'angoisse pour les frères et sœurs et de souffrance mais aussi un stress élevé dans la famille, bien entendu le manque de cohésion familiale et la difficulté pour les frères et sœurs de s'exprimer est une source de difficulté. C'est dire l'importance pour la famille de conserver un environnement social, une intégration au sein des amis, au sein de la vie sociale pour permettre à la structure familiale et donc aux frères et soeurs de s'épanouir confortablement.

Pour la pratique, que faire ?

On peut retirer trois idées :

- La première idée est de tenter d'apporter un support émotionnel aux parents et aux frères et sœurs. Peut-être des groupes de frères et sœurs pourraient être envisagés au sein des associations.
- La seconde est de favoriser la communication des parents avec les frères et sœurs bien portants. Cette communication a un rôle préventif fondamental.
- La troisième d'envisager l'aide au niveau du groupe familial dans son ensemble. Des tentatives ont été effectuées dans le cadre de centre de soins aux Etats Unis pour permettre à tout le groupe familial de recevoir une information, une communication structurée et même standardisée concernant la maladie. Ces expériences ont été évaluées et ont montré qu'elles apportaient un bien être social et un bien être psychologique important. Ainsi, il y a encore et toujours du chemin à faire…continuons.

Merci au Dr. P. Canouï pour son autoristaion de publication